dimanche 5 novembre 2006

CR 30 03 06_L'épopée révolutionnaire

Compte rendu de la réunion du 30 mars 2006

 

 

Présent(e)s : Gaspard Delon, Déborah Engel, Jean-Marc Hamon, Gabrielle Lafitte, Claude Millet, Olivier Pédeflous, Sandra Provini, Jean-Marie Roulin.

 

 

 

 

Exposé de Jean-Marie Roulin sur « L’héroïsme au féminin

 

dans l’épopée de la Révolution »

 

 

 

            Le monde de l’épopée est un monde d’hommes. Les femmes, telle Andromaque dans l’Iliade, y introduisent parfois un peu de tendresse, quand, telle Didon dans l’Enéide, elles n’éloignent pas le héros du combat. On rencontre cependant dans l’épopée quelques femmes combattantes, comme la Camille de Virgile. A la Renaissance, les guerrières sont nombreuses : Bradamante est un personnage de premier plan dans le Roland furieux, en tant qu’aïeule de la famille d’Este dédicataire du poème. Par ailleurs, l’héroïne traditionnelle française, Jeanne d’Arc, est à la fois une vierge guerrière et une sainte, illustrant après Cassandre le lien privilégié qu’ont les femmes avec le sacré.

            Cependant, à la fin du XVIIIe siècle, l’héroïsme féminin ne peut être incarné ni pas des saintes, ni par des aïeules nobles. De plus, l’idée de héros s’est trouvée modifiée par la pensée des Lumières : le héros n’est plus le guerrier, mais le grand roi, sage et vertueux. Certes, la période révolutionnaire, avec la nécessité de s’opposer à l’ennemi par les armes, entraîne le retour du paramètre guerrier, mais les références aux héros antiques sont enrichies par de nouveaux éléments, la fraternité, la mélancolie... Pendant la Révolution, on assiste de plus à des interrogations sur la place des femmes dans la société : Condorcet écrit un article sur l’admission des femmes au droit de cité ; Olympe de Gouges rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) dans laquelle on lit : « la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune » ; le Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français* fait le récit des hauts faits accomplis par des femmes. La période révolutionnaire voit une poussée des femmes vers le premier plan. Pourtant, celles-ci sont tenues à l’écart des assemblées.

            Les poèmes épiques* composés pendant cette période doivent être lus comme renvoyant à un imaginaire de la femme, et plus largement à un inconscient politique. Olympe de Gouges pose clairement la question : les femmes désirent seconder les hommes dans l’œuvre de régénération politique. L’imaginaire épique offre une configuration à ce désir d’héroïsme : on constate d’une part que les héroïnes, dépouillées du féminin, sont caractérisées par la virilité, d’autre part que la femme est écartée au profit de l’allégorie.

 

 

            Les femmes doivent masquer leur féminité pour accéder au champ de bataille. Dans Les Helvétiens, Adulie possède l’arc de Guillaume Tell, symbole de la puissance virile, et passe pour un homme. Il s’agit moins de travestissement que de dénaturation (dans l’Enéide, Camille a été nourrie du lait d’une cavale). L’héroïne est pensée en fonction de l’Antiquité : la comparaison topique avec les Amazones renvoie à une société fantasmatique qui exclue le masculin. L’activité guerrière de l’héroïne suppose que sa féminité a été vaincue, mais sa nature revient parfois de manière inopinée dans le combat (Camille est ainsi séduite, femineo amore, par une armure brillante...). L’instinct de la femme nuit alors à l’héroïsme : au chant VII des Helvétiens, Adulie tente de retenir son amant qui part à l’assaut (dans le Recueil des actions héroïques, les femmes, comme Rose Bouillon, semblent mieux concilier l’amour de la patrie et l’amour de l’époux que dans l’épopée : ce décalage reflète la divergence des visions de la femme chez les révolutionnaires).

L’héroïsme au féminin exalte aussi le sacrifice de la parure. Olympe de Gougess invite ainsi les femmes à aider le Trésor Public. Le dépouillement du luxe est une autre forme du renoncement aux attributs de la féminité.

Enfin, à la différence d’une Camille, les héroïnes épiques de la période révolutionnaire ont certes le sens de la patrie, mais à travers la médiation d’un personnage masculin : elles pensent d’abord le familial, puis le collectif.

 

 

Si l’héroïne est subordonnée à son mari, celui-ci est subordonné à un féminin hypostasié. Dans le Brutus de David, la division homme/femme est dynamisée. Cependant, du féminin se trouve aussi du côté de Brutus, avec la louve et la statue qui représentent la République romaine. La femme se trouve sacrifiée au nom d’une allégorie.

L’allégorie connaît un renouveau avec la Révolution. Voltaire a prescrit dans l’épopée le recours aux allégories morales plutôt qu’au merveilleux. Au chant V de La France Républicaine, deux personnages féminins s’opposent : Marie-Antoinette et la déesse Liberté. Face à la femme de chair méchante se dresse l’allégorie féminine inspiratrice de la Révolution, tandis que la figure qui inspire le royalisme est masculine : le Despotisme.

 

 

On a donc rencontré au cours de l’exposé trois types de figures féminines : la guerrière républicaine, la reine royaliste, l’allégorie. Les textes évincent les femmes de la vie politique, les plaçant dans la dépendance du mari. Apparaissent au premier plan des allégories mères de la race républicaine. Il n’y a donc pas dans les textes de victoire des femmes, qui sont mises à l’écart de la sphère publique. Cependant, il faut noter qu’on n’a pas affaire à une guerre des sexes. Aucune femme-Méduse suscitant l’effroi n’apparaît. Les femmes sont des compagnes de combat. Dans Les Martyrs, les deux héros subiront ensemble le martyr chrétien. On parlera donc d’un héroïsme du couple.

           

 

Textes étudiés

 

Masson Charles-François-Philibert, Les Helvétiens en 8 chants, avec des notes historiques, Paris, Pougens, An VIII [1800].

[La résistance des Helvètes contre Charles le Téméraire est traitée comme un reflet de la Révolution française. Le poète célèbre avec Guillaume Tell la naissance de la liberté.]

Pagès François, La France Républicaine, ou le miroir de la Révolution française, Poëme en dix chants, Paris, 1793.

Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français, présenté à la Convention nationale par Q.C. Thibaudeau. Armée du Rhin et de la Moselle, campagne d’hiver l’an deuxième de la République française, une et indivisible, Paris, An II.

[Ce recueil est une commande de la Convention. Il s’agissait de récolter différents traits héroïques dans les Provinces, les armées, pour les diffuser en fascicules dans les mairies, les écoles, etc.]

 

 

Discussion

 

- Rappel par Gabrielle Lafitte des paroles adressées à Boabdil par sa mère, dans les épopées arabes comme dans Les Aventures du dernier Abencerage de Chateaubriand : « tu pleures comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme ».

- Idée qu’il existe des rôles féminins et des rôles masculins, quel que soit le sexe des personnages qui les remplissent. La guerre a toujours quelque chose de masculin. On parlera ainsi du « féminin » et non de « la femme » dans La Légende des siècles (Claude Millet). L’héroïsme active un imaginaire de la virilité, à l’inverse le féminin est une menace qui hante les textes, d’où la féminisation des ennemis.

 

- Idée qu’il existe un ailleurs à la violence agonistique : la femme pointe vers autre chose. 1) les valeurs maternelles (Rousseau). 2) le « commerce », la mise en relation (Montesquieu). Ce sont les deux figures positives de la femme au XVIIIe siècle. Mais Olympe de Gouges pose la question de la nouvelle place de la femme après la Révolution.

 

- Remarque sur l’absence de victimisation des femmes. On ne rencontre pas dans les épopées en question « le pathétique des femmes et des enfants d’abord » (C. Millet), ni le motif des femmes victimes du monde héroïque. Le couple du héros et de l’héroïne fournit une nouvelle version du compagnonnage épique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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