mercredi 28 février 2007

Conférence d'Arnaud Laimé

Le vendredi 9 mars 2007, de 9h00 à 11h00, conférence
d'Arnaud Laimé :
 
 "La tentation de l'épique dans la silve Arion de Nicolas Petit,
professeur poète humaniste (XVIe s.)"
 

L’Arion a un double sujet : d’une part, la silve raconte, dans un style qui est à mi-chemin entre l’épopée et la révélation orphique, le mythe du poète Arion sauvé des eaux par un dauphin, alors que des marins criminels voulaient l’assassiner pour s’emparer de son or ; d’autre part, elle narre la difficile passation de pouvoirs entre Dionysos, abandonné des Muses répugnées par ses mœurs, et Apollon, nouveau protecteur de celles-ci. Arion a été publiée avec deux autres silves de Nicolas Petit. La silve Gournay, dans un registre de style moyen, est un éloge appuyé de Gournay-en-Bray, petite cité normande située non loin de Bellonsane, ville natale du poète. La Barbaromachie, enfin, est le récit épique et burlesque, parodiant l’Enéide, d’un fait divers réel de voierie : les latrines du collège de Montaigu ont débordé pour aller se déverser en contrebas sur le collège de Sainte-Barbe, qui décide de se venger et creuse, au couvert de la nuit, une canalisation pour renvoyer l’urine dans les jardins de l’école adverse ; l’expédition nocturne est découverte par les élèves de Montaigu, et une grande mêlée commence, qui s’achèvera par la destruction du four à pain des Barbistes, et celle des vignes des Montacutiens. Ce texte au ressort scabreux semble vouloir allier de manière originale érudition et culture populaire.

Arnaud Laimé se concentrera surtout sur la tentation de l'épique dans la plus grande silve, Arion, en essayant de déterminer l'influence conjuguée de la Poetica de Dubois et de l'esthétique politienne. Avec la silve Barbaromachie comme point de comparaison, il essaiera de montrer en quoi l'héroï-comique est une alternative possible, à Paris au début du siècle, à la grande écriture épique.

 
Nous nous retrouverons dans les nouveaux locaux de l'université Denis Diderot, sur le site des Grands Moulins, bâtiment C, 7e étage, en salle 776.
 
Pour y accéder : se munir de patience ! prendre la ligne 14, descendre à l'arrêt Bibliothèque François Mitterrand. Sortir par les escalators comme pour aller à la BNF. T ourner à droite dans L'avenue de France et prendre la rue Thomas Mann (troisième à gauche) en direction de la Seine puis la rue Marguerite Duras qui mène à l'esplanade des Grands Moulins, entre les Grands Moulins et la Halle aux Farines. L'entrée des ascenseurs se trouve juste après les portes de la cafétéria (bâtiment sur la gauche de l'esplanade). Monter au 7e (si l'ascenseur fonctionne...).

vendredi 2 février 2007

CR 18 01 07_Ode à Buffon

Compte rendu de la séance du 18 janvier 2007

 

 Présent(e)s : Franck Cabane, Pierre Chartier, Gaspard Delon, Michel Delon, Jean-Marc Hamon, Amélie Junqua, Gabrielle Lafitte, Olivier Pédeflous, Sandra Provini, Jean-Marie Roulin, Nicolas Thys, Jean Vignes.

 

Exposé de Michel Delon sur « L’héroïsation du philosophe »

Michel Delon a choisi d’étudier l’Ode à Buffon composée en 1771 par Ponce Denis Ecouchard Lebrun (1729-1807), poète célèbre en son temps sous le nom de Lebrun-Pindare. Vous trouverez l'intégralité du texte de l'ode dans l'album photo accessible depuis la colonne de droite (cliquer sur la première photographie et faire défiler à l'aide de la commande en haut à droite).

 

 

 

Le XVIIIe siècle voit s’opérer un transfert du religieux vers l’humain, de l’héroïsme traditionnel, militaire et dynastique, vers un héroïsme civique. Le « grand homme » remplace le héros, que Voltaire qualifie de « saccageur de campagnes ». Les hommes célèbres sont alors célébrés dans les salons et dans l’art (portraits, statues) ; on élabore même plusieurs projets de « galerie des grands hommes », notamment pour le Louvre. Mme Necker lance une souscription pour la statue de Voltaire, où le philosophe sera héroïsé par Pigalle qui le présente à l’antique, nu comme Sénèque. Une telle évolution se retrouve dans toute l’Europe.

En 1771, Buffon a déjà publié de nombreux volumes de son Histoire naturelle, à laquelle la Sorbonne a manifesté son opposition. Il a perdu sa femme et est tombé lui-même malade, et l’on réfléchit à le remplacer à la cour. Mais Buffon guérit et le roi cherche à récompenser son acceptation d'un futur successeur, autre que son fils encore trop jeune, en le faisant comte et en commandant sa statue de marbre à Pajou. Le sculpteur hésite entre représentation moderne et antique. Il choisit de montrer le savant à l’antique, dans un drapé de toge, accompagné d’une allégorie des trois règnes de la nature. Catherine II, devant le succès de cette oeuvre, commande à son tour une statue de Buffon à Houdon. C’est dans ce contexte qu’intervient la publication de l’ode de Lebrun.

Les vingt-neuf sizains de l’Ode à Buffon présentent d’abord Buffon comme l’interprète de la nature (1-10), puis mettent en scène la maladie qui attaque Buffon (11-21) et l’intercession de son épouse (22-26). Dans les dernières strophes, Buffon revit et le poète affirme le rôle de la poésie pour célébrer les grands hommes, se comparant lui-même à Pindare. L’ode tout entière sacralise le savant, rival des dieux, et le poète apparaît comme le prêtre de ce nouveau culte dû aux grands hommes.

 

 

 

Dans les dix premières strophes, Lebrun célèbre le Buffon de l’histoire et de la théorie de la terre, qui nous est moins connu que le peintre des animaux. Le savant occupe une position de surplomb génial qui lui permet d’embrasser large : son ambition est l’universalité. La strophe quatre consiste en une récusation de la figure de Prométhée : Buffon n’est pas un Titan révolté, c’est un homme de pouvoir et d’autorité qui refuse le conflit ouvert et fait toutes les concessions nécessaires à la Sorbonne au point que Diderot le prend comme l’exemple même du double discours dans sa Réfutation d’Helvétius. La lutte que met en scène la suite de l’ode ne viendra pas ainsi d’une révolte de la pensée du philosophe, mais des envieux.

Les strophes consacrées à l’attaque de l’Envie sont caractérisées par la présence de la mythologie. Le conflit philosophique devient une guerre entre le génie et l’Envie, et l’on retrouve l’héroïsme traditionnel dans le vocabulaire et l’imagerie de cette partie de l’ode qui emprunte même des traits de style à l’épopée.

La strophe 22 voit l’entrée en scène de la défunte Mme Buffon, avec une prosopopée usant du vocabulaire mythologique. Buffon apparaît ici dans son intimité, conformément à l’image du grand homme au XVIIIe siècle (l’écrivain en pantoufles, ou plutôt dans la terminologie du temps, en robe de chambre, comme Diderot, ou en bonnet de nuit, comme Mercier). Le savant n’est pas un génie solitaire, son savoir doit être relayé par d’autres instances sociales, parmi lesquelles la famille, mais aussi le poète.

Dans le dernier moment du texte, l’héroïsme se maintient aux côtés de la tonalité sentimentale, grâce à la présence de la négativité (figure du « pithon »). Mais c’est la figure du poète qui passe au premier plan et en vient même à égaler celle du savant. On sait que Lebrun avait l’ambition d’écrire une épopée de la nature (comme Chénier et de nombreux auteurs du XVIIIe siècle qui rêvaient d’une encyclopédie poétique). Parallèlement à cette ambition scientifique du poète, le savant a lui une ambition littéraire : reçu à l’Académie française, Buffon prononce un discours sur le style et prétend travailler son savoir pour rendre la nature belle.

 

L’héroïsme est traditionnellement lié au sang reçu (la lignée) ou versé (sang d’autrui que fait couler le héros guerrier dans sa fureur, mais aussi sang du héros lui même qui se sacrifice). Les Lumières dénouent ce lien du héros et du sang et font du philosophe un héros. Le peintre David représente Socrate tenant son discours philosophique jusqu’au bout et buvant la ciguë ; le peintre Sablet peint Archimède tué par les soldats alors qu’il continuait à faire ses calculs, fidèle à lui-même dans le refus de la violence.

 

 

 

Le héros philosophe est héroïque par sa position qui lui permet de tout embrasser. Mais le poème a besoin de réintroduire de la négativité : recourir à l’image de la guerre lui permet de reprendre toute la tradition de l’héroïsme antique. Mais cette négativité prend aussi sens par rapport au modèle de la gravité. Le couple action/réaction permet de penser l’Histoire comme dialectique (cf. B. Constant, Des réactions politiques). L’apparition des forces mauvaises est liée à cette nécessité.

 

Discussion

 

 

 

J.-M. Roulin souligne le sous-texte christique (intercession d’une femme qui comme Marie n’a qu’un époux et un fils, présence du serpent).

J. Vignes remarque que les strophes 12 et 13 qui décrivent la statue de Buffon présentent le savant terrassant des serpents. Le poète et le savant sont ainsi tous deux accompagnés d’un serpent vaincu.

G. Lafitte souligne la narrativité qui se met en place dans le poème sur le modèle de l’épopée, avec le récit de l’avancée des monstre mais aussi l’histoire de la terre.

P. Chartier remarque que le texte représente Buffon comme un héros passé par le royaume des morts. L’intervention de l’épouse en larmes peut certes être lue en référence à l’accent que met le XVIIIe siècle sur la famille et les sentiments, mais elle évoque surtout la figure mythique d’Eurydice. Cette scène qui peut nous paraître sentimentale et correspondre à la sphère privée est en fait caractérisée par un héroïsme traditionnel lié à l’image de Enfers.

J.-M. Roulin attire l’attention sur le parallèle entre le poète et le philosophe.  Le poète, loin d’apparaître au second rang, est un véritable vates. Lui aussi « voit », le haut et le bas, et jusqu’aux Enfers.

P. Chartier note dans la dernière strophe de l’ode une autocélébration du poète et de la poésie. Les poètes du XVIIIe ont voulu écrire le De natura rerum de leur temps. Lebrun s’égale à Buffon : il a chanté lui aussi la nature. Il y a une circulation entre le poète, le philosophe et l’homme de lettres.

J.-M. Roulin confirme en citant le vers « À ta voix l’univers semble éclore » : Lebrun donne une image orphique de Buffon. Ponge considérait l’auteur de l’Histoire naturelle comme le plus grand poète après Malherbe…

 

jeudi 1 février 2007

Publication d'un livre sur le peintre de bataille Joseph Parrocel

Un livre d'art paru récemment, consacré au peintre Joseph Parrocel :

Jérôme Delaplanche, Joseph Parrocel (1646-1704) : La nostalgie de l'héroïsme, Paris, Arthena, 2006.

Le nom de Joseph Parrocel est presque devenu le symbole de la peinture de bataille. Reçu à l'Académie en 1676 comme "peintre pour les batailles", il participe en 1678 aux décorations murales de l'Hôtel royal des Invalides (Les Conquêtes du roi dans le réfectoire François Ier). En 1685, il se voit confier le décor des deux premiers salons de l'appartement intérieur du roi à Versailles. Ses dernières années sont marquées par une nouvelle commande royale, pour le château de Marly (Le Passage du Rhin à Tolhuis par les armées du roi, musée du Louvre).

Les tableaux de Parrocel illustrent une vision glorieuse de la guerre. La noblesse pouvait ainsi y trouver l'évocation d'un héroïsme dont elle était souvent privée sur les champs de bataille contemporains où dominaient désormais les fastidieuses et méthodiques opérations de siège.

Le livre peut-être commandé aux éditions Arthena (8, rue François-Miron, 75004, Paris ; edition@arthena.org ).