dimanche 5 novembre 2006

CR 08 12 05_Vieil-anglais

 

 

Compte rendu de la réunion du 8 décembre 2005

 

 

Présent(e)s : Antonia Cristinoï, Gaspard Delon, Déborah Engel, Perrine Galand-Hallyn, Diane Grillere, Sylvain Jubertie, Gabrielle Lafitte, Julien Lafitte, Claire Montanari, Sandra Provini.

 

 

 

Exposé de Gabrielle Lafitte : « Aperçu de littérature héroïque vieil-anglaise »

 

 

 

Le but de cet exposé était de faire une présentation rapide et globale de la littérature héroïque vieil anglaise, pour porter à la connaissance du public cette littérature méconnue et voir en quoi elle pouvait nourrir une réflexion dans le cadre du séminaire.

Gabrielle Lafitte a donc commencé par une présentation rapide du contexte historique et culturel de l’Angleterre médiévale, de la langue de rédaction des textes et de la tradition manuscrite, puis a tenté de voir en quoi ces éléments avaient pu influer sur le concept de littérature héroïque de l’époque. L’oratrice a ensuite évoqué les contraintes formelles du genre, qui permettent de caractériser comme littérature héroïque des textes dont la thématique ne nous paraîtrait pas toujours évidemment relever de ce domaine. Enfin elle a présenté les grands textes héroïques vieil anglais, Beowulf, La Bataille de Maldon et L’Exaltation de la Croix.

Le contexte d’émergence des textes et les données historiques auxquelles ils réfèrent ont bien sûr une importance capitale dans la conception de l’héroïsme tel qu’il apparaît dans ces poèmes. La Bretagne celte, conquise par les Romains et christianisée, est soumise lors de la chute de l’Empire aux pressions des invasions germaniques venues du continent. Ces tribus, après avoir chassé les Celtes dans les franges montagneuses du pays, instaurent de petits royaumes de type féodal, païens, qui seront plus tard rechristianisés. C’est l’époque de ces migrations et de ces conquêtes, puis des guerres contre les tentatives d’invasion scandinaves, qui constitue le fond historique des textes héroïques vieil anglais. Leur langue de rédaction est le vieil anglais, langue germanique du haut Moyen Age, ainsi désignée par opposition au moyen anglais, la langue parlée après la conquête normande du XIe siècle. Les deux langues sont beaucoup plus éloignées que le vieux et le moyen français : le vieil anglais est une langue plus proche du norrois ou du néerlandais que de l’anglais moderne, qui comporte de nombreux éléments romans introduits par l’usage du français comme langue officielle après la conquête. Il possède de plus une graphie particulière, incluant notamment l’usage de quatre runes (encore utilisées en islandais moderne).

Cette différence linguistique n’a pas facilité la survivance, l’étude ni la compréhension des textes vieil anglais, qui ont survécu essentiellement à travers trois manuscrits et quelques fragments. On ne possède en général qu’une seule version ; c’est le cas pour la littérature héroïque.

Ces textes joignent à une thématique précise, reflet des valeurs de la société de l’époque, des contraintes formelles rigoureuses. André Crépin justifie ainsi dans sa préface le choix du titre de son anthologie, Poèmes héroïques en vieil anglais, (Paris, UGE, collection 10/18) : « Je préfère la désignation de « poésie héroïque » à celle de « « poésie épique » parce qu’elle me paraît moins vaste et moins vague. Elle souligne le caractère essentiel de cette poésie, la glorification d’un ou de quelques héros, incarnant les vertus qui assurent la cohésion social ici-bas et, d’après le christianisme, le salut dans l’au-delà. (…) Le poète, pour magnifier sa matière, la situera dans un passé à la frontière du mythe et de l’histoire et lui donnera ainsi une tonalité élégiaque. » Le problème des poètes –chrétiens- de l’époque est que cette période légendaire renvoie parfois à des héros païens, comme Beowulf. Il leur faut donc trouver un moyen de concilier la nouvelle religion avec les vertus traditionnelles, et réinvestir les formes poétiques qui permettaient de les exalter.

            On retrouve dans la poésie héroïque vieil-anglaise certaines constantes de l’héroïsme germanique : le courage guerrier, l’honneur, la loyauté envers le chef. Celui-ci est entouré de compagnons choisis, constituant son comitatus, structure unie par un lien très fort de loyauté allant au-delà de la mort. Cette dimension de sacrifice qui peut donner une tonalité tragique ou lyrique (déploration de la perte du chef) à ces textes, ainsi que la notion de gloire et d’honneur, sont liées à une conception du destin particulière au monde germanique médiéval, très bien expliquée par Régis Boyer dans sa préface à la traduction de l’Edda Poétique, et désignée en vieil anglais par le mot wyrd, à la fois « destinée » et « fortune ». L’idée en est que l’honneur consiste pour l’individu à revendiquer sa destinée : l’homme s’approprie son destin, le transforme en acte de volonté et non de résignation. D’où l’importance de tenir la place qui nous a été assignée, même si celle-ci est modeste.

            Ces données thématiques sont combinées à des règles de composition donnant aux textes une dimension solennelle et très marquée rythmiquement, aisément reconnaissable : le vers est constitué de deux hémistiches, liés entre eux par une allitération qui ne doit pas porter sur la dernière syllabe accentuée. Le poète utilise des formules, c’est-à-dire « un moule prédéfini du triple point de vue sémantique, syntaxique et prosodique » (A. Crépin, préface). Elles s’agencent entre elle par évocation, souvent en utilisant le système de la variatio, une métaphore toute faite qui reprend et développe un mot précédent. Par exemple, Beowulf est appelée « le fils d’Ecgtheow ». Cette métaphore est également une formule, celle de l’identification d’un personnage, constituée d’un nom et d’un complément au génitif, et couvrant un hémistiche.

            Tous les grands textes héroïques qui nous sont parvenus combinent cette thématique et ces structures formelles. D’abord Beowulf, immense geste de 3 182 vers, racontant les exploits du jeune prince Beowulf venu de Suède au Danemark pour la gloire de son seigneur Hygelac, pour débarrasser le palais du roi Hrothgar du monstre anthropophage Grendel qui l’attaque chaque nuit. Le héros doit ensuite combattre la mère du monstre dans une lagune sous-marine. Le poème opère ensuite une ellipse de plusieurs années, avant de nous présenter Beowulf vieilli, affrontant pour le salut de son peuple un dragon rendu furieux par le vol d’une part de son trésor. Il vainc le monstre mais est blessé mortellement. Le poème s’achève sur une cérémonie funèbre en son honneur, ses guerriers tournant à cheval autour de son bûcher en chantant ses exploits. Il n’y a d’autre lien entre les deux parties du poèmes que l’héroïsme de Beowulf, héros typique, pratiquant la loyauté avant de la susciter.

            D’autres textes décrivent un héroïsme guerrier, par exemple La Bataille de Maldon, récit de défaite héroïque comme notre Chanson de Roland, et basée comme elle sur un fait historique. Là encore, la loyauté envers le chef est exaltée, jusqu’à l’extrême : celui-ci mort, la bataille perdue, ses compagnons font assaut de courage pour trouver une mort glorieuse en le vengeant.

            Plus curieux sont les textes se rattachant à la tradition biblique, mais reprenant les topoi, la forme et le vocabulaire de la poésie héroïque. A. Crépin a choisi de faire figurer dans ses traductions Judith et L’Exaltation de la Croix. Une lecture a été donnée de ce dernier texte lors de l’exposé. Le texte est écrit à la première personne et rapporte une vision apparue au poète en songe : la croix du Christ lui apparaît, couverte tantôt de sang tantôt de joyaux, et raconte la crucifixion comme un exploit héroïque, présentant le Christ comme un guerrier s’élançant au devant du supplice pour racheter son peuple – l’humanité. La croix rapporte ses propres souffrances de devoir être l’instrument de ce supplice et son courage à ne point céder à cette souffrance pour permettre le rachat de l’humanité. Il s’agit d’un devoir, de tenir la place qui lui a été assignée : « il était dit que je resterai droit ».

            On voit donc que la poésie héroïque vieil anglaise n’est pas seulement liée à une idéologie guerrière, mais surtout à l’exaltation de vertus particulières, à la question de la volonté, de la loyauté, du courage, ce qui fait que l’on peut trouver des textes dont la forme et la tonalité sont ceux de la littérature héroïque, même si le thème en est biblique, voire lyrique (il aurait fallu évoquer les textes sur le rapport du poète au seigneur, Deor et Widsith), et où les héros peuvent être des héroïnes (Judith, Elene, l’épouse de La Plainte de l’Exilée), décrites dans les mêmes termes et avec les mêmes vertus que des héros guerriers. Malgré son formalisme, c’est donc une littérature riche, non figée. Elle est toutefois intimement liée aux formes de la poésie germanique et à l’idéal qu’elles exaltent, et la conquête normande marquera son déclin jusqu’à l’alliterative revival du XIVe siècle qui reprendra une forme allitérée pour exprimer de nouveaux thèmes poétiques.

Remarquons enfin que l’on a retrouvé dans ces textes héroïques vieil-anglais plusieurs constantes déjà évoquées lors de la première séance du séminaire : thème guerrier, importance des représentations sociales des héros, ton solennel, formes fixes, importance d’une tradition historique qui resitue ou lie le récit héroïque a un passé mythique et des vertus traditionnelles. La lecture de l’Exaltation de la Croix nous a de plus permis de prolonger notre réflexion sur les frontières de l’héroïque et du lyrique.

 

 

 

Vous trouverez ci-dessous une bibliographie sur le sujet.

 

 

 

Les œuvres

 

Sir Gauwain and the Green Knight, W. R. J. Barron éditeur scientifique, Manchester University Press, 1994

 

Beowulf, édition bilingue, traduction et commentaires de Michael Swanton, Manchester University Press, 1978

 

Poèmes héroïques en vieil anglais, introduction et traduction de A. Crépin, Paris, UGE, (collection 10/18, bibliothèque médiévale), 1981

 

Old and Middle English: an anthology, édité par Elaine Tremarne, Oxford, Blackwell, 2000

 

L’Edda poétique, textes présentés et traduits par R. Boyer, Paris, Fayard, 1992 (pour comparaison)

 

 

 

Sur la littérature anglaise médiévale et sa langue

 

A. Crépin et H. Tauringa-Dauby, Histoire de la littérature anglaise du Moyen Age, Nathan, (collection Nathan Université), 1993

 

Bruce Mitchell, An invitation to Old English and Anglo-Saxon England, Oxford, Blackwell Publishers Ltd, Oxford, 1995

 

Bruce Mitchell et Fred C. Robinson, A guide to old English, Oxford, Blackwell Publishers Ltd, sixth edition 2001

 

J.-A. Burrow et Thorlac Turville-Petre, A Book of Middle English, Oxford, Blackwell Publishers, 1996

 

G. A. Lester, The language of Old and Middle English Poetry, MacMillan Press Ltd, 1996

 

Beowulf, symbolisme et interprétations, sous la direction de M. A. Alamichel, Paris, Éditions du Temps, 1998

 

Points de vue sur Beowulf, Actes du colloque G.R.E.N.D.E.L. du 14 novembre 1998 à l'université de Nancy II, édités par C. Stévanovitch, AMAES, Nancy, 1999

 

 

 

Sur l’héroïque

 

La revue PRIS-MA a publié nombre d’articles intéressants, notamment :

 

M. de Combarieu, Sapientia et fortitudo : Fouque dans "Girart de Roussillon", PRIS-MA t. X, n°1, juillet-décembre 1994

 

André Crépin, L'héroïque et le romanesque: réflexions d'un angliciste à la lecture des "Aliscans", PRIS-MA t. IX, n°2, janvier-juin 1994

 

J. Flori, Le héros épique et sa peur, PRIS-MA t. X, n°2, janvier-juin 1994

 

Daniel W-Lacroix, Formes du héros épique dans la littérature norroise, in PRIS-MA, tome IX, n°2, juillet-décembre 1993

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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